anthologie alleatoire
POEME DU JEUDI POUR CROQUEURS DE MOTS
Un poème du jeudi pour "Croqueurs de mots"
Tout d'abord un poème aztèque, écrit avant 1519, arrivée des conquistadores:
La cité s'étale en cercles de jade...
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PHILIPPE FORCIOLI
Un texte de Philippe Forcioli, à lire ici
POEME POUR LE JEUDI 1 AOÛT
De Pierre Lepère:
"Le Locataire de nulle part" Éditions de la Différence.
Enfermé par la nuit
Dans des périphéries
De mélancolie bleue,
Banlieues de féeries.
Il voudrait tellement
S'abandonner enfin
Au rouet d'un sommeil
Perdu dont il a faim!
Testament interlope,
Monologue voyou,
Balbutiés sous le ciel
De lit des antipodes.
Sous les drapeaux en berne
De cette nuit trop lourde,
Il se tient immobile
Dans l'oubli qui le cerne.
PHILIPPE FORCIOLI
tu bégaies un langage de la terre et du cœur
à la femme cachée dans le secret des nuits
à la puissante voix qui t'appelle et te brise
pauvre bœuf cloué à ta charrue de peines
et pauvre âne battu par la loi des nantis
chante
chante comme on pose une main fraîche
sur le front brûlant d'un enfant
il n'y est pas le paradis sur terre
certainement un certain regard
qui fait qu'un cauchemar révèle l'espérance
lucarne d'innocence
chante
chante simplement les épouvantes et les merveilles
d'enfance regardée
"Routes de feuilles" chez G. Berthezène, libraire-éditeur
EDOUARD GLISSANT
Voici un texte d'Edouard Glissant, tiré de "le sel noir" (Poésie/Gallimard)
PAYS
Dans l'allée au sud des terres. Dans le gel salé du matin. Dans
l'énergie d'argile à terrer ce destin. Dans la caducité des plats de paume. Dans la voix d'infini par les déserts les trombes. Dans l'écho sans onde ni fracas. Dans la mendicité. Dans une plaie
au profond des verts sombres. Dans la boue descellant les bambous de ciment, et dans un vieillard nu veillant l'éclair toute une nuit. Dans un corps mort dessouché aux bennes. Dans la reptation.
Dans un conducteur fou quittant son tracteur blême. Dans la préciosité. Dans la gueule d'un poisson politique et qui ment. Dans l'affre au coeur des roches ton plein coeur. Où toute terre t'est
venue.
ST. JOHN PERSE
Jill Bill me donne l'occasion de proposer un autre extrait de "Oiseaux" de St. John Perse, qui rend hommage au peintre Georges Braque. (Pléiade Gallimard)
Oiseaux de Braque, et de nul autre... Inallusifs et purs de toute mémoire, ils suivent leur destin propre, plus ombrageux que nulle montée de cygnes noirs à l'horizon des mers australes. L'innocence est leur âge. Ils courent leur chance près de l'homme. Et s'élèvent au songe dans la même nuit que l'homme.
Sur l'orbe du plus grand Songe qui nous a tous vus naître, ils passent, nous laissant à nos histoires de villes... Leur vol est
connaissance, l'espace est leur aliénation.
JACQUES ROUBAUD
Un poème de saison:
" L'escargot" de Jacques Roubaud dans
"Les animaux de tout le monde" chez Seghers.
Il passe comme un paquebot
Dans l'herbe tremblante de pluie
Quand les araignées essuient
Leurs toiles car il fait beau
J'ai toujours aimé l'escargot
Son pas frais luisant et sans bruit
Sa navigation dans la nuit
Le long des murs, vivant cargo
On en retrouve le sillage
Le matin, brillant au soleil
Où va l'escargot, qui voyage
Dans le noir cornes en éveil?
En haut du fenouil, en équilibre
Il médite sur les étoiles libres.
PABLO NERUDA
Et en hommage au beau texte de Carole Chollet-Buisson sur les pierres, ce poème de Pablo Neruda sur Macchu Piccu:
Morts d'un seul abîme, ombres d'une seule profondeur,
La plus creuse, il arriva qu'à l'échelle
De votre grandeur,
Survint la véritable mort, la plus dévorante
Des morts; et depuis les roches perforées,
Depuis les chapiteaux écarlates,
Depuis les aqueducs en terrasses
Vous vous êtes écroulés, comme dans un automne,
En une seule mort.
Aujourd'hui, l'air vide ne pleure plus,
Il ne connaît plus vos pieds d'argile,
Il avait oublié vos jarres qui filtraient le ciel,
Quand les couteaux de la foudre le dépeçaient.
L'arbre puissant fut mangé
Par le brouillard et coupé par la bourrasque.
Il soutenait une main qui tomba brusquement
Du haut des sommets jusqu'à la fin du temps.
Déjà vous n'existez plus, mains d'araignées, fragiles
Aiguillées, toile embrouillée:
Tout ce que vous fûtes tomba: coutumes, syllabes
Râpées, masques d'éblouissante lumière.
Du moins subsistent la pierre et le discours:
La ville qui comme une coupe fut élevée dans les mains
De tous, vivants, morts, silencieux, soutenus
Par une si grande mort, un mur, par une si grande vie, un choc
De pétales de pierres: le rose permanente, la demeure:
Ce récif sur les Andes de colonies glacées.
Quand la main couleur d'argile
Devint elle-même argile, et quand les pauvres paupières furent fermées,
Emplies de murs rugueux et peuplées de châteaux,
Et quand tout l'homme se recroquevilla dans son trou,
L'exactitude resta hissée comme une oriflamme:
Le haut lieu de l'aurore humaine:
Le plus haut vase qui contint le silence
Une vie de pierre après une multitude de vies.
MAX ELSKAMP
Extrait de "Sous les tentes de l'exode" Max Elskamp
(dans "Passeurs de mémoire" poésie/gallimard)
Île de Tholen, île en rond,
Sur la mer ainsi qu'en voyage,
Île de Tholen, île en blond,
De tous nos jours ici si longs,
Verte ou bleue suivant la saison,
Mauve quand passent les nuages,
Île de Tholen, île en rond,
Tous les jours à notre horizon.
Île d'hiver, automne, été,
Sur l'eau comme un poisson qui nage,
Levant tel un dos argenté
Les dunes claires de ses plages,
Île, où quand ventre crie famine,
C'est nous qui marchons dans la lande,
Pour voir moulins faire farine
Là-bas sur la mer de Zélande,
Île ici qui par tous les temps
De vent, de gel ou de bruine,
Comme la vie, ailes tournant,
Moud à chacun pain noir ou blanc.
PABLO NERUDA
Un soir bleu nous a jeté dans nos envies, ou pas. J'ai envie aujourd'hui de vous offrir ce poème de Pablo Neruda:
Ton rire.
Moque-toi de la nuit,
Du jour et de la lune,
Moque-toi de ces rues
Divagantes de l'île,
Moque-toi de cet homme,
Amoureux, maladroit
Mais lorsque j'ouvre, moi,
Les yeux ou les referme,
Lorsque mes pas s'en vont,
Lorsque mes pas s'en viennent,
Refuse-moi le pain,
L'air, l'aube, le printemps,
Mais ton rire jamais
Car alors j'en mourrai.
(Traduction Claude Couffon et Christian Rinderknect)